Elle passe quatre mois de l’année en alpage, au rythme des brebis et en harmonie avec la nature. Mais, depuis que le loup est arrivé, rien n’est plus pareil. Les attaques du prédateur sur le troupeau ont créé un climat de tension et entamé la confiance de la bergère.
« Passed’enhaut ! Avancelahaut ! »
Bernadette, la bergère, crie pour faire redescendre les brebis qui grimpent vers le sommet de la montagne. « Parfois, ça suffit pour les empêcher de monter ». Mais, aujourd’hui, rien à faire. Les gourmandes font la sourde oreille et s’en mettent plein la panse. Elles raffolent de cette petite herbe verte qui a surgi après la pluie. Dans le troupeau, pas une tête ne dépasse. Dos plats, cous allongés vers le sol, mâchoires en action, elles progressent lentement vers la cime. Les croupes laineuses se mêlent aux plumeaux duveteux des graminées qui ondulent sous le vent. Elles forment des chapelets blancs accrochés aux buissons verts et tendres.
Malgré les appels répétés de Bernadette, les brebis poursuivent tranquillement leur ascension. Alors, elle envoie les chiens, Clem et Lilas. Elle les guide à distance et les brebis commencent à redescendre. Cette fois, ça a marché mais, régulièrement, Clem abandonne la bergère à ses moutons pour suivre une piste de gibier. « C’est son côté chien de chasse », remarque-t-elle, philosophe. La petite chienne Lilas, restée seule avec le troupeau, hésite, perd ses moyens et lance des aboiements interrogatifs vers sa maîtresse. Bernadette ne peut alors plus compter que sur ses mollets pour rejoindre les brebis et les repousser vers le creux du vallon.
Je peux dormir sur un caillou
Bernadette a « pris cette montagne », dans les Alpes-de-Haute-Provence, avec Claire, une autre bergère, pour la deuxième année. Une saison de garde de troupeau dure quatre mois, de juin à octobre. L’alpage, situé à 1650 m d’altitude sur les hauteurs de Saint-Geniez, couvre un versant du Trainon et les prés de Théous. Les deux bergères se partagent la semaine – 4 jours pour l’une et trois pour l’autre – et sont employées par un groupement pastoral de plusieurs éleveurs de la région. « Quand j’ai commencé, on avait 1100 brebis et, aujourd’hui, il en reste 700, car celles qui étaient pleines sont parties ». Le troupeau regroupe des Préalpes, brebis blanches peu lainées et des Mourerous, reconnaissables à leur museau et leurs pattes rougess.
Bernadette, qui garde le troupeau de six à vingt-deux heures en été, ne part jamais sans son gros sac à dos, rempli de tout ce qui peut lui être utile pour la journée : casse-croûte, eau, pull en laine, gants, coupe-vent, ficelle, couteau… et un grand parapluie pour se protéger du soleil, « car je peux dormir sur un caillou », explique-t-elle. Au milieu de la journée, les brebis arrêtent de brouter et ruminent sous les feuillages pendant plusieurs heures – jusqu’à 7 heures en été. On dit qu’elles chôment. Pendant ce temps, la bergère se trouve un petit coin d’herbe. Elle se restaure, lit, écrit (voir encadré), rêve, médite, dort parfois ou ne fait rien. Mais elle ne s’ennuie jamais : elle aime cette contrainte imposée par la garde du troupeau qui oblige « à rester dehors sous tous les climats, sous la pluie et sous l’orage ».
Bernadette, qui garde le troupeau de six à vingt-deux heures en été, ne part jamais sans son gros sac à dos, rempli de tout ce qui peut lui être utile pour la journée : casse-croûte, eau, pull en laine, gants, coupe-vent, ficelle, couteau… et un grand parapluie pour se protéger du soleil, « car je peux dormir sur un caillou », explique-t-elle. Au milieu de la journée, les brebis arrêtent de brouter et ruminent sous les feuillages pendant plusieurs heures – jusqu’à 7 heures en été. On dit qu’elles chôment. Pendant ce temps, la bergère se trouve un petit coin d’herbe. Elle se restaure, lit, écrit (voir encadré), rêve, médite, dort parfois ou ne fait rien. Mais elle ne s’ennuie jamais : elle aime cette contrainte imposée par la garde du troupeau qui oblige « à rester dehors sous tous les climats, sous la pluie et sous l’orage ».
Le loup enlève la confiance
Les brebis se déplacent tranquillement, dans un mouvement rythmé par le bruit des cloches. « Quand elles mangent en ligne, comme ça, c’est là qu’elles mangent le mieux », observe la bergère attendrie. Pour elle, un berger doit être capable de lâcher prise. Se laisser mener parfois et ne pas craindre de perdre des bêtes. Cette sérénité, Bernadette la doit sûrement à son caractère et, sans doute, aussi, à son expérience : elle est bergère depuis 30 ans. « Il faut avoir confiance », mais, ajoute-t-elle aussitôt : « c’est ça que le loup enlève, la confiance ». Effectivement, depuis qu’il est arrivé à Saint-Geniez, beaucoup de choses ont changé.
En juillet 2012, le loup a attaqué de nuit, et franchi la clôture du parc de couchage où se trouvait le troupeau. Réveillée par le bruit des cloches, Claire, l’autre bergère, a retrouvé sept brebis égorgées : deux étaient mortes sur le coup et les cinq autres n’ont pas survécu. « Après, on dormait dehors, dans le parc, avec les brebis et on utilisait des pétards pour faire peur au loup. On était fatiguées car on dormait mal », raconte Bernadette. Les chasseurs du coin se relayaient pour dormir, eux aussi, dans le parc. Une nuit, l’un deux a entendu le loup sauter. Il avait une lampe infrarouge au bout du fusil. « Le loup avait chopé une brebis. Le chasseur a tiré. Le loup a lâché la brebis et s’est enfui ». Au cours de l’été 2012, les attaques de loups sur l’alpage du Trainon se sont soldées par une vingtaine de brebis mortes ou disparues, une cinquantaine d’avortements dus au stress, et des brebis vides, « qui ont mal pris le bélier ».
Reportage : Nicole Gellot.
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