Ariège, envoyé spécial.
La jeune bergère a demandé une tablette. Delphine Lagarde voudrait bien, elle aussi, suivre ses vaches par écran interposé. Son père s'est porté volontaire en 2013 pour expérimenter un système de géolocalisation par GPS de son troupeau de Gasconne, qui passent les beaux jours sur l'estive du Prat d'Albis, au-dessus de Foix (Ariège).
Mais jouer le cyberberger, ce n'est pas la tasse de thé d'Alain Lagarde. « A 63 ans, je n'aurais pas pu suivre, je n'ai pas les compétences », dit l'éleveur. Responsable de la gestion de ces pâturages d'altitude loués par une vingtaine d'éleveurs, M. Lagarde est en train de transmettre l'exploitation à ses filles.
Pour la deuxième année d'affilée, il a équipé une dizaine de bêtes de ces petits boîtiers qui se fixent sur le collier où pend la traditionnelle cloche, si pratique pourrepérer, par temps de brouillard, le troupeau éparpillé dans la montagne.
Delphine, elle, se veut résolument moderne. Ce n'est pas parce qu'on garde les bêtes dans la montagne à 20 ans qu'on n'a pas de smartphone ou qu'on ne surfe pas sur Internet et les réseaux sociaux. La jeune fille, qui profite de la route goudronnée sillonnant la vaste prairie d'altitude pour visiter en 4 × 4 les différents troupeaux de vaches et de chevaux éparpillés dans la montagne, préfèreredescendre le soir que passer la nuit sur place.
BOÎTIERS GPS DE 30 GRAMMES
Les panneaux solaires installés par la fédération pastorale de l'Ariège pour fournirde l'électricité à la cabane des bergers ont souffert des fortes chutes de neige cet hiver. Ils doivent être réparés. Dans son bureau du conseil général à Foix, le technicien de la fédération pastorale fait son mea culpa en tirant le bilan de la première année d'expérimentation. « On a équipé les animaux, mais pas les hommes », dit Thierry Marfaing.
Le serveur Internet qui doit permettre à chaque éleveur de suivre le déplacement de ses bêtes sur écran n'était pas davantage fonctionnel pour la transhumance du mois de mai. « Ce n'est pas encore au point », résume Alain Lagarde, dubitatif mais pas découragé pour autant. Les boîtiers GPS ont été renforcés et miniaturisés. Ils ne pèsent plus que 30 grammes, leur fixation et leur étanchéité ont été renforcées.
La société Sigfox est venue de Toulouse pour implanter quelques antennes supplémentaires sur l'estive du Prat d'Albis, déjà parsemée de pylônes de transmission pour les télévisions, les radios et les téléphones. Cette start-up, qui veut créer un « Internet des objets connectés » à l'échelle mondiale, est l'opérateur technique de ce projet évalué à 475 000 euros, subventionné à 65 % par l'Europe (Feder).
« CLÔTURE VIRTUELLE »
Pour sa deuxième année d'expérimentation, le programme – baptisé e-Pasto – doit s'étendre au Pays basque espagnol. L'objectif affiché n'est plus seulement desuivre les troupeaux à distance, mais de chercher à les « téléguider ». Le système, qui se présente comme une « clôture virtuelle », s'appuie sur une première expérience menée dès les années 1990 par les ingénieurs du Cemagref de Clermont-Ferrand. Il consiste à envoyer un signal sonore par vibration suivi d'une décharge électrique à l'animal pour lui apprendre à ne pas franchir une frontière invisible.
Des tests ont été pratiqués cet hiver dans le troupeau de la famille Lagarde. « Cela marche », assure laconiquement Delphine. « Il y a eu des réactions, mais de petites défaillances techniques n'ont pas permis de tester plus avant », complète Georges Gonzalez, chercheur à l'INRA de Toulouse qui supervise l'expérience.
CONFLIT AVEC L'OURS
Berger aujourd'hui retraité, Francis Chevillon est plus catégorique. « Cette expérience risque de nuire à la profession. Moi, je n'ai aucune envie de jouer au Tamagochi ». L'homme est connu comme le loup blanc en Ariège pour prêcher la réhabilitation du métier de berger de concert avec le retour de l'ours.
Alors que les éleveurs opposés aux prédateurs ont prévu de manifester une nouvelle fois à la fin du mois dans les rues de la préfecture ariégeoise, l'un des promoteurs toulousains d'e-Pasto ne peut s'empêcher de lâcher : « Le collier GPS et la clôture virtuelle, c'est à l'ours qu'il faudrait l'appliquer. » Plus prosaïque, Alain Lagarde se demande quel serait le prix d'un forfait de télésurveillance de son troupeau si l'expérience devait se généraliser.
« Je ne suis pas sûr que tout le monde pourra se l'offrir », dit l'éleveur. Une société ardéchoise, qui commercialise déjà des colliers pour retrouver les chiens de chasse, s'est mise sur les rangs. Elle proposerait des abonnements à 20 euros par mois.
- Stéphane Thépot (Toulouse, correspondance)
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