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mardi 4 août 2015

A l’alpage, au rythme des génisses - LeTemps.ch

A l’alpage, au rythme des génisses - LeTemps.ch

A l’alpage, au rythme des génisses

André Schönenweid, président du PDC fribourgeois. (Eddy Mottaz)
André Schönenweid, président du PDC fribourgeois. (Eddy Mottaz)
Président du PDC du canton de Fribourg, André Schönenweid passe son troisième été au grand air. Une tradition qui malheureusement se perd, regrette cet ingénieur, politicien et teneur d’alpage
A l’époque, les agriculteurs avaient des domestiques pour partir à l’alpage et y garder le bétail. A partir des années 70, ils ont été progressivement remplacés par la génération baba cool, en quête d’authenticité, comme un pied de nez à la société d’en bas. La mode passant, ce sont des saisonniers étrangers qui ont assumé cette tâche, des Européens d’abord, puis on a vu débarquer des Cap-Verdiens notamment.
Aujourd’hui, nombre de chalets sont inhabités. Les véritables armaillis sont en voie de disparition. Les agriculteurs s’organisent différemment, font des allers-retours entre leur exploitation en plaine et les verts pâturages en altitude. Ils se regroupent pour alléger le fardeau ou alors partagent cette tâche avec des retraités. C’est ce que constate André Schönenweid, président du PDC du canton de Fribourg, député au Grand Conseil et ingénieur électricien, chargé de projet au département immobilier et infrastructures à l’EPFL. «Une tradition se perd», dit-il.
Sauf pour lui, qui a fait le choix, il y a quelques années, de tenir un alpage. «Nous ne venons pas du tout d’une famille d’agriculteurs. Mais avec mon fils, qui est policier, nous voulions avoir un projet commun, qui soit proche de la nature, car c’est ce que nous avons toujours aimé. Comme il avait déjà passé des étés à l’alpage durant son adolescence, l’idée s’est imposée rapidement. Nous avons mis une annonce dans la presse spécialisée pour proposer nos services, mais ça n’a rien donné. Alors j’ai commencé à en parler autour de moi. En 2013, c’est Sébastien Frossard, agriculteur et député UDC, qui a pu répondre à notre attente en nous confiant son alpage. C’est donc la troisième année consécutive que nous sommes là.»
Le chalet des Banderettes est situé sur la commune de Charmey, dans les Préalpes fribourgeoises. «A une heure de Fribourg et à une heure de Lausanne», confie André Schönenweid, qui avoue qu’il doit parfois interrompre sa contemplation du paysage pour retourner en plaine pour un rendez-vous. «Mais les gens montent aussi chez moi.» Il désigne du doigt la longue table en bois, avec vue sur les montagnes. «Des politiciens de tous les partis font le voyage. Beaucoup de choses se régleront ici cet été. C’est notre table des négociations», ­lance-t-il.
Il faut dire que Fribourg, après les élections fédérales d’octobre, enchaînera avec les élections communales et cantonales en 2016. Aux Banderettes, il sera beaucoup question d’alliances avec la droite (PLR et UDC) et les nouveaux partis du centre (PBD et Vert’libéraux). Mais ce n’est pas l’objet de la visite.
André Schönenweid sort une bouteille de rosé et a ramené du village le meilleur gruyère d’alpage, ainsi que du sérac. Lui qui a tendance à être hyperactif, il parvient ici à retrouver son calme, à laisser son esprit vagabonder. C’est la vie au rythme des génisses. Et il ne sert à rien de les brusquer, ce serait contre-productif.
L’alpage dont s’occupe le député fribourgeois s’étend sur 80 hectares. 80 génisses se partagent les pâturages entre début juin et jusqu’à fin septembre, quand sonnera l’heure de la célèbre désalpe de Charmey. André Schönenweid se répartit le travail avec son fils et dès le mois d’août, un civiliste viendra leur prêter main-forte. Mais entre ses vacances et ses heures supplémentaires, il parvient à y passer une bonne partie de la saison. Tout en étant disponible pour les réunions importantes et certains rendez-vous. «Les années précédentes, nous ­avions encore des vaches, des chèvres, des cochons et des poules. Cette année, en raison de mes nouveaux engagements politiques, je me contente des génisses, car elles sont moins exigeantes. Pas besoin d’être là à heure fixe pour la traite. Mais en échange, avec mon fils, nous nous occupons de l’entretien de l’alpage. Si on n’enlève pas les sapelots qui poussent dans les prés, c’est l’invasion assurée et autant de bonne herbe perdue. Nous allons également refaire quelques murs de pierre qui sont en mauvais état. Nous n’avons pas moins de travail que les années précédentes, mais pouvons mieux organiser notre temps selon nos disponibilités.»
Dans l’immédiat, il a un autre souci: la canicule. Deux génisses souffrent de la redoutée maladie du chamois, sorte de grave conjonctivite qui peut entraîner la cécité d’une bête. Ce sont les mouches qui la transmettent. Et comme il y en a beaucoup cette année en raison des températures élevées, le troupeau est surveillé de près. «Les bêtes atteintes restent à l’écurie où elles sont protégées du soleil. Et je les soigne. Une est déjà guérie, mais je la garde à l’intérieur pour qu’elle tienne compagnie à celle qui est encore malade et qui s’affolerait sinon d’être ainsi écartée de ses congénères et de les entendre au loin», raconte-t-il.
A chaque année sa spécificité. L’an dernier, les bêtes souffraient plutôt d’infections aux pieds, en raison d’un terrain rendu marécageux par l’abondance des pluies. Sans parler de son propre inconfort: «J’ai grelotté pendant trois semaines. Une calamité. Il ne faisait pas 10 degrés dans le chalet.» Rien de tout ça en ce moment. Mais André Schönenweid s’inquiète du niveau de l’eau. «Une seule génisse boit près de 60 litres d’eau par jour! Pour l’instant, ça va mais j’espère qu’on tiendra!»
André Schönenweid précise qu’il n’est pas armailli mais teneur d’alpage. C’est-à-dire que contrairement à l’armailli qui est là pour le bétail, un teneur d’alpage porte la responsabilité des lieux toute l’année. «C’est-à-dire qu’on commence le travail en mai. On prépare le chalet, on le nettoie et surtout on clôture l’alpage. Il faut aussi organiser la répartition des bêtes par groupes, avec pour chaque groupe un parc différent.»
Ce sont principalement les bêtes de Sébastien Frossard qui occupent le terrain. D’autres agriculteurs complètent le casting. Pour leur travail, les Schönenweid touchent 100 francs par bête pour toute la saison, soit environ 8000 francs pour la saison. «Personne ne peut vivre de ce travail. Même un Polonais ne travaille plus à ce prix-là. Il faudrait absolument revaloriser cette fonction ,car il y a trop de chalets d’alpage qui sont vides et qui du coup se dégradent», regrette-t-il. Pour lui, le sort des alpages se jouera dans les dix prochaines années.
Mais le chalet des Banderettes a tout pour plaire, avec sa terrasse qui domine les Préalpes, son balcon de bois à l’ombre, sa jolie chambre boisée et surtout la pièce principale, avec l’âtre au centre. «J’y cuis les macaronis et toutes sortes de pâtes», confie-t-il.
Et les lieux ont leur petit confort: une douche installée à côté de l’écurie… et un groupe électrogène, très peu utilisé, si ce n’est pour recharger le téléphone portable. En parlant de téléphone portable, André Schönenweid se souvient que c’est l’an dernier à la même époque, alors qu’il était occupé à traire à 6h30 du matin, que le comité directeur du PDC fribourgeois l’a appelé pour lui dire qu’il avait été désigné pour reprendre la présidence.
André Schönenweid ne sait pas encore s’il sera de retour sur l’alpage l’an prochain, puisqu’il y aura les élections à Fribourg, donc beaucoup de travail en perspective. «Je suis triplement heureux. Comme ingénieur, comme politicien et comme teneur d’alpage. Et je prendrai ma décision cet automne, lorsque le troupeau sera bien rentré et le chalet fermé pour l’hiver», explique-t-il.
Mais il aime cette vie à l’écart de l’agitation urbaine. La montagne offre le temps de réfléchir, de recevoir. «Franchement, on a ici une autre notion du temps, on gagne en sérénité, car on doit s’adapter au rythme de la nature, de la météo, des bêtes.» Et il trouve des points communs avec ses autres activités. «Pour moi, quand on se lance dans un projet, il faut tenir, ne pas se décourager au premier obstacle. Comme en politique ou dans la vie en général. Et à la montagne, c’est pareil. La première année que j’étais là, il a fallu abattre une bête qui s’était salement blessée. Un douloureux moment à passer, car on se remet forcément en question. Mais il faut continuer. L’été dernier était exécrable, je devais vivre quasiment tout le temps dedans. Et la première fois que j’ai planté des piquets, je ne sentais plus mes bras.»
En retour, André Schönenweid admire les plus beaux couchers de soleil, qu’il partage avec ceux d’en bas…

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