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lundi 26 mai 2014

Le loup , timidement REINTRODUIT en Suisse.......

LeTemps.ch | Le loup et la bergerie

Le loup timidement réintroduit en Suisse provoque de fausses peurs et, parfois, de vrais dégâts. Depuis 2009, les aides-bergers assistent bénévolement les troupeaux menacés par les prédateurs. Récit et rencontres.


«Je retire de cette expérience la certitude que la cohabitation entre le loup et les moutons est possible à condition d’encadrer correctement les troupeaux. En fait, c’est un choix éthique: soit on opte pour la qualité, et le loup est compatible avec le bétail d’alpage, soit on privilégie la quantité, le rendement, et le loup est l’ennemi à abattre.» Delphine, 24 ans, a le sens de la synthèse. La jeune Lausannoise d’adoption, diplômée en sciences politiques, fait partie des 70 bénévoles qui ont déjà suivi la formation d’aide-berger lancée par le WWF en 2009, et reprise dès cette année par la Vösa, Association pour la promotion d’un alpage sûr et écologique.
L’idée? Former au printemps un bataillon d’assistants de tous âges et de toutes professions qui, durant l’été, sont envoyés en renfort dans les alpages menacés par les prédateurs – loup, lynx et ours. Quand tout se passe bien, le gain de cette initiative est double. D’un côté, les bergers sont soulagés dans leurs tâches et secondés en cas d’attaque. De l’autre, les éco-volontaires, souvent citadins, réalisent sur le terrain les joies et les peines du métier. Un pont salutaire, vu la délicatesse du dossier, entre idéologies et réalité.
Loup y es-tu?
Le loup et l’agneau. La fable, qui ne saurait mentir, le dit bien: la raison du plus fort est toujours la meilleure. Sauf qu’aujourd’hui, après des siècles de chasse aux sorcières, le loup apparaît comme le plus faible. Pas dans l’absolu, évidemment. Dans un face-à-face loup-mouton, la bête à laine n’a aucune chance. Mais, à l’échelle du pays, «avec 17 individus dont seulement deux femelles, les loups sont loin d’avoir assuré la survie de leur espèce», constatait le WWF en décembre dernier. Pourtant, en février, lors d’une interpellation de Jean-René Fournier, conseiller aux Etats valaisan, le Conseil fédéral a été invité à dénoncer la Convention de Berne qui place le loup sur la liste des animaux «strictement protégés». L’objectif du sénateur démocrate-chrétien? Mettre la Suisse sur pied d’égalité avec les pays au bénéfice d’une réserve autorisant la chasse au loup. Doris Leuthard, en charge notamment du Département fédéral de l’environnement, a refusé de dénoncer le traité international, estimant qu’il «offrait déjà suffisamment de possibilités de résoudre les conflits». Mais le sujet reste brûlant. Et emblématique de la disparité de vision entre cantons urbains et cantons montagnards.
«Benvenuti in Italia!»
«C’est précisément ce fossé qu’on cherche à combler avec l’offre d’aides-bergers», explique Markus Arn, berger lui-même et coordinateur à la Vösa de cette formation. «Il s’agit de contrer la peur du loup en aidant les éleveurs implantés dans les zones à risque.» Contrairement au WWF, qui plaide sans ambiguïté pour le retour du carnivore en Suisse, la Vösa est plus nuancée. «On n’est ni pour ni contre le loup, temporise Markus Arn. Mais, du moment qu’il est là, autant donner aux bergers les atouts pour bien cohabiter avec lui.» Dans son bilan annuel de 2012, le WWF annonce que sur les 17 loups recensés en Suisse aujourd’hui, une dizaine de mâles sont répartis entre le Valais, le Tessin et la Suisse centrale. Une femelle vit entre les cantons de Berne et de Fribourg. Et une meute de huit loups vit dans le massif grison du Calanda. La situation est meilleure dans l’Arc alpin italo-français, poursuit le WWF, où 400 loups sont répartis en 30 meutes au moins.
Clôture et patous
D’emblée, le responsable de la Vösa évacue une peur ancestrale qui colle à l’imaginaire: «A moins qu’il ne soit coincé dans un fossé ou un piège, le loup n’attaquera jamais l’homme. Il est bien trop peureux.» En revanche, le loup peut assaillir un troupeau mal entouré ou une bête isolée. Pas une vache a priori, trop imposante, mais un mouton ou une chèvre. D’où un des premiers gestes enseignés aux futurs aides-bergers lors de leur formation. «Rassembler le troupeau et l’enfermer pour la nuit dans une clôture fabriquée sur mesure. Un troupeau uni est beaucoup moins vulnérable», explique Markus Arn. Le coordinateur précise que le risque maximal est encouru lorsque le troupeau passe l’été en vacation libre, sans présence humaine. Faute de moyens, de nombreux éleveurs laissent leurs moutons sans berger et montent de temps en temps sur l’alpage apporter du sel, élément qui permet de fixer le troupeau. Là, évidemment, si un agneau ou un mouton s’éloigne du groupe et n’est pas rappelé, il fera une proie idéale, la nuit venue. A l’inverse, la présence humaine, le jour, et la clôture, la nuit, garantissent un sommeil serein au bétail.
La seconde mesure enseignée tient dans l’approche et la gestion des patous des Pyrénées, ce chien de protection qui vit au milieu du troupeau et peut faire preuve d’agressivité en cas de nécessité. Un animal à poil blanc plutôt étonnant, si l’on en croit l’expérience des aides-bergers. «Je suis sûre que le patou se prend pour un mouton», sourit Delphine, la jeune Vaudoise aide-berger. «C’est en effet un chien pas commun», renchérit Philippe Bobilier, aide-berger qui a fait sa mission d’alpage chez l’éleveur Jean-Pierre Vittoni, spécialiste du patou. «Il doit rester suffisamment sauvage pour effrayer le loup, tout en étant suffisamment civilisé pour ne pas trop effrayer les gens.» Autrement dit, une gestion compliquée, alors que les chiens de berger classiques, les petits borders collies qui guident le troupeau, sont bien plus canins dans leur relation au maître.
L’homme, ce loup
pour l’homme
On parle du loup, beaucoup. Pourtant, ce qui domine dans les témoignages des aides-bergers (lire ci-dessus), ce n’est pas le danger. Mais le plaisir de se retrouver en pleine nature et de plonger dans la vie quotidienne des bergers. Des bergers «étonnamment bavards et raffinés», se souvient Guido, ingénieur retraité qui a suivi la formation l’été dernier. Un retour au vert que l’écrivain Blaise Hofmann a également testé. Fils de paysans, ce Lausannois qui partage son temps entre l’écriture et l’enseignement, a assumé seul et sans formation la garde d’un troupeau de 1000 moutons durant l’été 2005 dans la vallée de l’Hongrin, dans les Alpes vaudoises. Il en a tiré un récit passionnant, Estive, qui raconte par courtes séquences souvent concrètes, parfois poétiques, les réalités du métier.
Que pense-t-il de l’engouement de ces bénévoles qui lâchent pendant une à deux semaines le confort de la civilisation pour la vie sauvage des alpages? «Cette démarche s’inscrit dans la mode de l’exotisme de proximité et la nostalgie des professions anciennes. Une mode à laquelle j’ai aussi succombé!» reconnaît l’écrivain avec humour. Et quid du double mouvement qui veut que, d’un côté, on permette au loup de se réinstaller dans nos contrées, et, de l’autre, on le limite dans l’exercice spontané de la chasse? «C’est évidemment un paradoxe. D’une part, des citadins s’arracheraient un bras pour apercevoir un lynx et, de l’autre, les paysans sont affolés par le retour du naturel. Mais plus que la peur du loup, ce qui déprime les paysans et les éleveurs, c’est leur statut d’assistés. Le fait que leur survie dépend plus des subventions que de la vente de leurs produits, la laine ou la viande, dont le prix sur le marché est totalement bradé.» Qui a dit que l’homme était un loup pour l’homme?

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