Victoire pour les forçats des alpages
précarité
CÉCILE ROUSSEAU
MARDI, 23 AOÛT, 2016
L'HUMANITÉ
Pour la première fois, un gardien de troupeau a fait requalifier son CDD en CDI, ouvrant une brèche vers un véritable statut.
Coup de tonnerre dans l’azur du Vercors. Les pasteurs du massif, bastion de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, ont remporté une bataille importante. La cour d’appel de Grenoble (Isère) a requalifié le 24 juin dernier les CDD saisonniers étalés sur treize ans de Michel Didier, berger vétérinaire, en CDI. Cette victoire est une grande première : « Ils ont estimé que les contrats correspondaient à l’activité normale et permanente du syndicat d’estive (groupement d’employeurs – NDLR) car les travaux se répètent chaque année. J’espère que cela va donner des idées aux bergers en souffrance ! » explique le pionnier.
Pour le montagnard, les étés s’enchaînaient sur les alpages, sans sécurité de l’emploi. Quand il demande en 2013 un contrat à durée indéterminée au syndicat d’estivage Gresse Bas Dauphiné, groupement d’une dizaine d’éleveurs qui l’engage depuis des décennies, il se voit opposer un refus. L’année d’après, il n’est pas reconduit sur le site du Serpaton, avec vue imprenable sur l’est du massif. « Les employeurs peuvent se débarrasser facilement de nous et préfèrent recruter les bergers dociles. C’est bien pour ça que peu de personnes vont aux prud’hommes. Ce combat m’a demandé beaucoup d’énergie. » La justice a aussi requalifié son licenciement, notifié oralement, comme étant sans cause réelle et sérieuse. 30 000 euros de dommages et intérêts lui ont également été octroyés. Cette décision de la cour d’appel couronne un intense combat militant. En 2013, Michel Didier a fondé le syndicat des gardiens de troupeaux de l’Isère, affilié à la CGT, pour faire reconnaître leur statut. Sous les crêtes de calcaire dentelées du Vercors, le tapis verdoyant s’étale à perte de vue. Comme les CDD saisonniers au sein de cette profession exigeante et rémunérée à peine plus que le Smic.
Seul pour s’occuper de 400 génisses
Dans ce métier, source d’inspiration inépuisable pour la littérature, de l’Astrée jusqu’aux romans de George Sand, le côté bucolique va de pair avec la rudesse. Isolé cinq mois en altitude, seul pour s’occuper de 400 génisses, l’homme est face à la nature. « Il faut gérer le foin, attraper les bêtes, déceler les problèmes de boiteries… On réalise ce travail dans un cadre extraordinaire ! » se souvient Michel. Sur place, sa famille pouvait lui rendre visite. Son épouse le remplaçait même lors du repos dominical. Mais tous les bergers sont loin de bénéficier des mêmes conditions favorables.
Johnny Neto, secrétaire fédéral de la Fnaf-CGT, pointe de nombreuses dérives. Au creux des monts escarpés, le respect du Code du travail et du Code rural n’est souvent qu’un mirage. « Certains patrons sont rétrogrades, bloqués avant la Révolution de 1789 ! Les groupements d’employeurs rechignent à payer les heures supplémentaires. Les remplacements des bergers pour les jours de congés, quand ils veulent redescendre, ne sont pas garantis. Au niveau des conditions d’hébergement, on a encore des personnes qui dorment à même la paille dans des maisons. »
Leïla, 31 ans, reste perchée tout l’été sur le col de la Croix. Pâtre de père en fille, elle a immédiatement adhéré au syndicat CGT avec une dizaine de bergers et se réjouit de cette première avancée judiciaire. « C’est très bien ce qui se passe ! Les éleveurs ne sont pas toujours les meilleurs pour respecter la loi et les bergers en détresse y voient plus clair sur leurs droits ! C’est une façon de pérenniser nos embauches, de donner de l’espoir aux alpagistes jetables du jour au lendemain. » En CDD depuis dix ans, elle n’ose pas demander à sa banque de lui faire un crédit. « Cette liberté a un certain prix, celui de la précarité et l’impact sur la vie de famille », précise-t-elle. Mais cette mère d’une petite fille a la passion chevillée au corps, carburant nécessaire pour supporter l’effort physique. « Je dois gérer 280 bestioles de 500 kg. Le plus dur, c’est surtout le début, de poser les 12 kilomètres de clôture, dont 6 électrifiés, c’est un sacré travail. »
Toute la journée, la bergère volubile se balade avec 10 kg de sel et de céréales sur le dos : « Je joue la “marchande de bonbons”, j’entretiens la relation avec l’animal. J’essaie d’être attentive et d’atteindre la perfection. » Ses CDD à répétition ne l’empêchent pas de s’investir durablement sur son pâturage. « Je construis un sauna, j’arrange le chalet et le jardin. Je m’organise comme je veux », ajoute-t-elle, émerveillée par les paysages somptueux. « Je ne me lasse pas de regarder les couchers de soleil. Quand l’école est finie, ma fille me rejoint, on fait des choses simples comme cueillir des fraises et des framboises. »
Les forçats des alpages, attachés à leur montagne et à leur indépendance, sont plus que jamais déterminés à revendiquer un vrai statut. Tous espèrent notamment réactiver le projet de convention collective nationale des bergers, dans les tuyaux depuis trois ans. D’autres procédures sont aussi en cours aux prud’hommes. Mais les actions devant les tribunaux tout comme la syndicalisation restent encore timides. Dans cet « immense navire surgissant de la plaine » qu’est le Vercors (1), l’écho de cette première victoire judiciaire n’a pas fini de résonner.
(1) Citation de l’écrivain Jean Bruller, dit Vercors.
- la décision de la cour d'appel de Grenoble sur le site de la FNAF CGThttp://www.fnafcgt.fr/spip.php?article457
- les droits des bergers et leur convention collective http://maisonduberger.com/contrat-et-droit/
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