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LA POYA: UNE COUTUME, UN ART, UNE FETE
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| Honneur aux comtes de Gruyère! Parce qu'ils accordèrent à leurs féaux sujets le droit de soustraire les prés à la vaine pâture, ils favorisèrent une agriculture spécialisée dans l'élevage et fabrication du fromage.
Résultat ? Au XVIe siècle déjà, les Gruériens faisaient de leur savoureux " pâte dure ", un produit d'exportation réputé. Une civilisation de l'Alpe était née, marquée aujourd'hui encore par la tradition.
Le goût de la parade Personnage-clé de cette économie fromagère: l'armailli. Conservateur du Musée gruérien, Denis Buchs assure que ce responsable du troupeau durant la saison d'alpage a rapidement pris goût à la parade. Fier de conduire le bétail sur le pâturage, il prend un vif plaisir à défiler, l'automne venu, à la tête d'un troupeau fortifié et décoré. Un spectacle qui a suscité une tradition populaire qui reste vivante.
Au XVIIIe siècle, mouvements élitaires et prise de conscience populaire convergent. Denis Buchs rappelle la fourniture de nombreux troupeaux gruériens aux familles princières de France. L'histoire romantique, et pourtant historique, de Pauvre Jacques, qui fut vacher au service de la soeur de Louis XVI, est particulièrement révélatrice. L'attrait du cortège est attesté par un chroniqueur qui, en 1766, assiste au départ d'un troupeau acheté par Mgr de Choiseul.
Aussi ne s'étonne-t-on guère de voir les armaillis fribourgeois défiler à la Fête des Vignerons de Veveyet, à partir de 1819, y entonner le " Ranz des vaches ".
C'est donc à l'armailli que nous devons cette façon-fête d'effectuer la transhumance du bétail que nous appelons " montée à l'alpage ", ou plus simplement " poya ". |
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Un art pictural aussi C'est dans ce climat qu'apparaîtront les premières peintures paysannes ayant pour thème la montée à l'alpage. Alors qu'elles sont désignées simplement sous le vocable de " tableaux " par leurs auteurs et leurs propriétaires, Henri Gremaud, conservateur du Musée gruérien, n'hésite pas. Il les appelle " poyas ", un terme qui a passé à la postérité.
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Le Musée gruérien, premier temple des poyas abrite un chef-d'oeuvre de Sylvestre Pidoux. Mais, confie Alain Glauser, auteur de deux ouvrages qui font référence sur la question, il est un autre " musée des poyas ". C'est un fantastique musée en plein air, situé dans quatre districts fribourgeois: la Gruyère, la Glâne, la Sarine et la Veveyse.
En 1968, lors d'un cours de répétition en Ajoie, un médecin-dentiste neuchâtelois, Alain Glauser précisément, voit sa première poya devant la ferme d'un Gruérien émigré. Depuis, il a consacré vingt ans de ses loisirs à parcourir systématiquement tous les villages fribourgeois concernés, notant et photographiant. Alain Glauser inventorie 480 poyas ainsi exposées en plein air, et plus de 300 mises à l'abri. En tout, quelque 800 poyas peintes de 1835 à nos jours.
Un grand rassemblement populaire La Poya est aussi une vraie fête et une célébration qui a pour cadre le petit village gruérien d'Estavannens. Le 21 mai 1881, Etienne Fragnière publia un poème de dix-neuf strophes sur la montée du troupeau à l'alpage. L'harmonisation qu'en fit plus tard l'abbé Joseph Bovet le promit à la pérennité. C'est pour commémorer les 75 ans de ce poème qui chante si bien l'âme du pays que l'Association gruérienne pour le costume et les coutumes instaura la première " Poya d'Estavannens ", le dimanche 6 mai 1956. Cette " solennité triomphale ", cette fête du renouveau, connut un tel succès qu'elle fut renouvelée en 1960, 1966, 1976 et 1989.
La prochaine édition est agendée pour les 13-14 mai 2000.
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Raymond Gremaud, président de l'Association gruérienne pour le costume et les coutumes
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| L'ORIGINE DE LA POYA D'ESTAVANNENS
Comme beaucoup de belles histoires, celle de la Poya d'Estavannens commence en chansons. C'est l'idée de commémorer, en 1956, le 75e anniversaire de l'une d'elles au titre prédestiné - " La Poya " - qui suscita le projet de la première Poya d'Estavannens. Le professeur Jean Humbert rappelle ainsi l'histoire de cette chanson.
Le 21 mai 1881, l'Union - journal conservateur de l'époque - publie, sous le titre français " Le départ pour la montagne ", le premier poème patois inspiré par la montée du troupeau vers l'Alpe. Il est signé Etienne Fragnière, professeur au Collège Saint-Michel, authentique bourgeois de Fribourg, mais Gruérien par sa mère.
Le folkloriste Joseph Reichlen chercha un air approprié pour ce poème. Il le trouva sous la forme d'une mélodie soutenant une chanson pastorale en dialecte vaudois. Introduite dans les écoles en Gruyère par Pierre Bovet, le père du célèbre barde, cette chanson s'adaptait parfaitement à l'oeuvre d'Etienne Fragnière. La baptisant " La Poya ", Joseph Reichlen la publia dans " La Gruyère illustrée " en 1894. |
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| Un frisson dès les premiers accords Dix ans plus tard, l'abbé Joseph Bovet, alors vicaire à Genève, harmonisa le poème en lui apportant les retouches nécessaires. La première exécution de cette version, donnée le 22 mai 1910 à Bulle par tous les chanteurs de la Gruyère sous la direction de Jules Corboz, à l'occasion de la Fête cantonale de chant, fut un triomphe.
Etienne Fragnière rapporte ainsi l'événement: " Les auditeurs de ce concert se souviendront aisément du frisson qui les a saisis dès les premiers accords, et de l'enthousiasme frémissant qui a fait lever tout l'auditoire au bout de quelques mesures. Il sembla un instant que toute l'âme de la Gruyère et du canton de Fribourg planait parmi les vibrations du chant, dans le vaste hall dressé pour les représentations de Chalamala. Les exécutants eux-mêmes furent si impressionnés que beaucoup avouèrent n'avoir pas pu retenir des larmes d'émotion. "
Une édition de plusieurs milliers d'exemplaires de " La Poya " fut écoulée en quelques jours. C'est ce succès qui détermina le chanoine Bovet à publier le fameux recueil " Nos chansons ".
Pour Jean Humbert, le plus bel éloge que l'on puisse faire de ce nouveau Ranz des vaches est le rappel de celui qui a jailli des lèvres d'un armailli: " Quand j'entends cette chanson, j'ai beau fermer les yeux, je vois toute la Gruyère et je me sens tout attendri! ".
Pour le professeur et musicien André Corboz (fils de Jules), et pour Henri Gremaud, mainteneur des coutumes et conservateur du Musée gruérien, il y avait plus bel hommage. Ce sont eux qui ont imaginé de commémorer en 1956, le 75e anniversaire de " La Poya " par un grand rassemblement populaire dans le site idyllique d'Estavannens.
Cinq éditions bénies du dieu Soleil Sous la houlette de l'Association gruérienne pour le costume et les coutumes (AGCC) en collaboration avec l'Harmonie d'Estavannens, la première fête de la Poya se déroula donc en 1956. Elle suscita une telle ferveur qu'on renouvela l'événement en 1960. Suivirent 1966, 1976 et 1989. Magie de la Poya! En tout, cinq éditions bénies du dieu Soleil et marquées par l'enthousiasme populaire. Le 16 novembre 1996 à Epagny, au pied de la colline de Gruyères, l'Assemblée générale de l'AGCC a donné son feu vert à une sixième édition de la Poya d'Estavannens, agendée pour les 13 et 14 mai de l'an 2000. |
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