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A Gonfaron, la bergère rend ses voisins complètement chèvres
Publié le - 10
Elles dévastent tout sur leur passage. Le troupeau de 300 bêtes de Mme Duc divague pour paître sur tous les terrains mitoyens de la Rouvède et de Plan Cavalier à Gonfaron dans le Var. Les riverains sont excédés
L'herbe du voisin est toujours plus verte… L'adage se vérifie à Gonfaron, depuis vingt ans maintenant. Près d'une centaine de procédures. Des montagnes de dossiers… Les riverains n'en peuvent plus. Mais l'affaire n'a rien d'un banal conflit de voisinage. Elle implique une cinquantaine de protagonistes. Et trois cents chèvres ! Quand le troupeau envahit à tout bout de champs les terrains environnants, rien n'est laissé sur son passage. Yves Lecourtier en fait les frais depuis des années.
Éleveur de bovins et cultivateur de luzerne sur 20 hectares pour nourrir sa centaine de bêtes, il est excédé. Les jeunes pousses font le bonheur des chèvres, avant même d'arriver à maturité. « Quarante tonnes de foin perdues. Pour un préjudice de 40 000 euros», précise le paysan. Il a pourtant tout tenté. La médiation, bien sûr, pour commencer. Mais rien n'y fait. Puis la manière forte. Clôturer l'ensemble de son terrain, comme tous les autres voisins. Mais là encore, peine perdue, comme le prouve ce cliché saisi le 31 mars sur le terrain de l'éleveur.
Un collectif pour se faire entendre
Pour la chevrière, toutes les excuses sont bonnes. «Un trou dans le grillage», qu'elle ne parviendrait pas à déceler… Mais Mr Lecourtier y voit surtout de «la provocation pure et simple. Elle a déjà coupé le grillage pour faire paître ses chèvres sur mon terrain.» À bout de nerfs, les voisins sont déterminés à trouver une issue à ce conflit qui n'a que trop duré.
Ils ont ainsi monté un collectif pour donner à leurs actions individuelles plus d'impact. Avec le soutien des maires de Gonfaron, Thierry Bongiorno et de Flassans, Bernard Fournier, ils sont cette fois déterminés à ne plus rien laisser passer. Pour obtenir de la justice la reconnaissance de leur bon droit.
Outre l'invasion récurrente des chèvres sur des terrains agricoles, forestiers, vignes mais aussi jardins privés - une chèvre a été sauvée de la noyade dans la piscine d'un voisin ! -, le collectif entend faire aboutir les procédures, notamment pour infractions au code de l'urbanisme.
Problèmes de sécurité routière
À commencer par rendre exécutoire la condamnation en 2008 de la chevrière à la destruction de son hangar de 600 m2et d'une maison sur sa parcelle. Mais l'intéressée se déclare insolvable et ne peut donc effectuer l'opération.
«Le bâtiment étant bourré d'amiante, sa destruction est estimée selon le résultat des trois appels d'offres à plus de 250 000 euros,précise le maire Thierry Bongiorno. Difficile d'imaginer une telle somme à la charge du contribuable… Quoi qu'il en soit, Mme Duc «se positionne toujours en victime. Elle est procédurière et intente des actions en justice pour tout». Des actions dont bon nombre lui ont d'ailleurs donné raison, sur d'autres points… Mais rien ne justifie la divagation de son troupeau hors de son terrain de 40 hectares.
D'autant plus que cette «semi-liberté» du cheptel pose un sérieux problème de sécurité routière. Trois accidents, heureusement matériels, lui ont été imputés. Mais en guise de condamnation en correctionnelle, la chevrière n'a écopé que d'une injonction de verser des dommages-intérêts, à hauteur de… 150 euros par victime ! «Il faut qu'il y ait un mort sur la route pour que la justice agisse enfin», s'énerve Yves Lecourtier.
Quinze ans de procédures et autant de rebondissements
Dès l'an 2000, le conflit éclatait au grand jour, devant la justice. Joëlle Duc saisissait alors le Tribunal d'instance de Brignoles pour faire condamner ses voisins à supprimer les obstacles dressés sur le chemin qu'elle empruntait avec ses chèvres. Elle se fondait alors sur l'actuel code civil, mais surtout sur le droit ancestral des « carraires». Un droit coutumier local remontant au XIIesiècle, consacré dans un arrêt du Parlement de Provence en 1783, puis validé à nouveau par la Cour d'Appel d'Aix en 1996. La carraire était ainsi définie comme « une servitude d'utilité publique gravant un fonds privé. » Déboutée de ses demandes en première instance en 2001, Mme Duc interjetait alors appel pour faire reconnaître son droit à la transhumance de son troupeau en vertu des usages locaux.
Un droit coutumier provencal consacré
Conformément au droit coutumier, la Cour d'Appel d'Aix donnait raison à la chevrière, considérant que « Mme Duc a besoin, pour son activité professionnelle, de cheminer par les carraires objet du litige…»La juridiction condamnait de fait les voisins, notamment les époux Fournier, à rétablir le passage sur la carraire. Un verdict encore conforté par deux jugements du tribunal administratif de Toulon en date de 2009 et 2011 qui « ordonnaient à la commune de Gonfaron le rétablissement sous astreinte des carraires utiles à l'activité professionnelle de Mme Duc ». En avril 2014, statuant sur le pourvoi formulé par les époux Fournier pour interdire à la chevrière l'usage des carraires, la Cour de Cassation validait en dernière instance la décision de la Cour d'Appel rendue dix ans auparavant. L'épilogue judiciaire de quinze ans de procédures. Sans en finir pour autant avec l'objet même du litige : la divagation tous azimuts des trois cent chèvres du troupeau…
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