La filière ovine va mal, avec ou sans loup. Se focaliser sur celui-ci permet d’éviter de se poser les bonnes questions.
Les tirs qui ont suivi le Plan loup, puis le
« symposium loup » qui se tenait du 9 au 12 octobre 2013, ont mis le feu aux poudres médiatiques. Beaucoup crient au loup et cassent au passage de l’écolo.
Un sondage Ifop nous apprend que 80
% des Français sont contre l’éradication du loup, mais qui s’en soucie
? Et qui se soucie aujourd’hui de protéger la nature en France
?
Évidemment, je ne parle pas de vous chers collègues
JNEJournalistes écrivains pour la nature et l’écologie, ni des journalistes qui font bien leur boulot, heureusement on en trouve encore d’excellents, curieux et courageux. Loin de moi également l’idée de taper sur la profession d’éleveur, ni de sous-estimer les difficultés économiques de l’élevage ovin.
Mais il conviendrait de bien soupeser tous les aspects du problème loup avant de l’aborder, car le prédateur cristallise et réveille toutes les haines, y compris à l’encontre des protecteurs de la nature, et ça n’est ni très rationnel ni très sain. Voici donc quelques arguments que l’on aimerait entendre un peu plus souvent pour rééquilibrer les débats, voire les élever un peu…
La filière ovine va mal, avec ou sans loup
Nous savons tous que la filière ovine va mal, avec ou sans loup. L’affaire du Rainbow Warrior et les importations de viande de mouton néo-zélandais qui ont suivi y sont certainement pour beaucoup. Depuis 1990, l’élevage s’est effondré de 50 % en Poitou-Charentes, où il n’y a pas de loup, contre 26 % en Rhône-Alpes, où le prédateur est installé depuis 1992 !
La filière ovine va si mal qu’elle est déjà aidée, ce qui n’est satisfaisant pour personne. Les éleveurs touchent des primes à la bête qui s’appuient sur des subventions françaises et européennes, donc avec l’aide des contribuables, qui seraient en droit de demander des comptes sur ce que l’on fait de leur argent. Nombre de protecteurs s’apprêtent d’ailleurs à demander l’arrêt de ces subventions, histoire de clarifier le contexte.
Avant la création du Parc du Mercantour, il y avait dans les Alpes très peu de brebis et essentiellement des vaches. Le pastoralisme n’est donc pas une forte tradition dans la région des loups, il ne rapporte rien localement, en tout cas tellement moins qu’un tourisme nature qui serait fondé sur une biodiversité préservée, et des écoutes de hurlements par exemple.
Or, le mouton n’est en aucun cas bon pour la biodiversité montagnarde. Le biologiste Gilbert Cochet le compare à un chalut dévastant tout, et rappelle que le surpâturage a appauvri la flore et la faune, en faisant disparaître notamment des orchidées et des papillons. La biodiversité est désormais plus riche – ou moins pauvre – dans les stations de ski que dans les zones de pâturage
! Dans son
excellent livre Feral, le journaliste écologue britannique Georges Monbiot lance de son côté une critique forte contre le mouton dans son pays, qu’il considère comme une
“vermine laineuse” !
L’exemple des pays voisins irrite les anti-loups, qui veulent faire croire que les montagnes sont différentes ailleurs (moins verticales sans doute). Rappelons qu’il y a 2 500 loups en Espagne et 24 millions de moutons… Que les loups sont aux portes des villes, comme en Italie à Rome ou à Florence, sans que cela pose plus de problèmes que cela.
400 000 brebis à l’équarissage chaque année
Oui, mais le pauvre berger qui voit ses brebis tuées ? C’est évidemment une catastrophe, qui le nierait ? Mais c’est une catastrophe parmi beaucoup d’autres ; bien plus importantes : chaque année en France, 400 000 à 500 000 brebis de réforme sont envoyées à l’équarrissage. Le loup aura du mal à rivaliser… Mais la brebis égorgée est forte émotionnellement, et ça, ça plaît à la télé. Si les images des loups abattus circulaient aussi facilement, sans doute le réflexe des téléspectateurs s’en trouverait-il fortement modifié…
On peut aussi se demander à qui appartient la montagne, car nombre de manifestants anti-loup se comportent comme s’ils en étaient les seuls dépositaires. Quid des Français qui n’ont pas la chance, comme eux, de vivre dans des paysages sauvages aussi beaux, et qui exercent des professions tout aussi dures qu’eux ? Quid des générations futures ?
Ouvrons les yeux : la haine du loup a dépassé le simple problème de la protection des troupeaux. Pourquoi ces arrêtés pour des tirs aux loups alors que les troupeaux redescendent, ou dans des départements où l’on n’a encore aperçu qu’un seul individu
? Notons d’ailleurs que
plusieurs arrêtés de tirs ont déjà été annulés suite à des recours de l’Aspas et d’autres associations, ce qui en dit long sur le respect des lois montré par les préfets dans cette affaire. Ah oui : le loup est une espèce protégée, on a tendance à l’oublier…
Enfin, quelle nature voulons-nous ? Vouloir éliminer le loup, c’est ouvrir la porte aux fourches et aux fusils pour tout ce qui gêne. C’est-à-dire, en gros, tout ce qui ne rapporte pas de pognon à court terme. Avec les loups viennent les ours, les lynx (déjà braconnés jusqu’au dernier dans les Vosges), les vautours, les bouquetins, les renards, les blaireaux, les fouines, les belettes… La liste ne s’arrêtera pas. Voulons-nous juste stériliser la nature pour satisfaire quelques acharnés qui, de toute façon, ne seront jamais satisfaits ?
Pour ouvrir le débat à d’autres points de vue, les médias ont leur responsabilité. À moins que la destruction de la nature ne leur semble pas quelque chose de si important que ça...
Source : JNE (Journalistes écrivains pour la Nature et l’Ecologie)