Au Nid de Brebis

Le Nid de Brebis


mardi 12 novembre 2013

Le loup, ennemi ou nature ? Paroles de bergers - Reporterre

Le loup, ennemi ou nature ? Paroles de bergers - Reporterre

Les rencontres nationales des associations de bergers viennent de se tenir. Les bergers ont rappelé que le grand prédateur ne doit pas faire oublier les conditions sociales des gardiens de troupeaux et les pratiques d’élevage intensives.
Un premier constat s’impose. Si tous rejettent l’idée de l’éradication de canis lupus, les bergers sont hyper sensibles sur le sujet et demandent des réponses« efficaces » à leurs soucis : « 5 500 brebis sont mortes sur 250 communes de l’arc alpin où l’on recense 1 300 patous (chiens de protection) », dit Antoine Le Gal, berger dans le haut Verdon et représentant au GNL, le groupe national loup. En première ligne en cas d’attaque de leur troupeau, les bergers sont très souvent désarmés, isolés, voire critiqués par les éleveurs à qui ils reprochent d’être souvent dans « le déni de réalité » ou de tenir des propos« idéologiques » en voulant supprimer tous les loups.
« Frappée par la violence des bêtes et de mon employeur »
« Le sujet m’émeut, j’ai tendance à trembler », dit Eric en restituant les débats de son petit groupe de discussion qui a mis en avant « la souffrance des bergers » qu’un autre groupe a aussi abordée : « Des bergers n’ont plus confiance en eux », dit Solène qui travaille en Ariège où le grand prédateur est l’ours. Elle pointe les difficultés qui surviennent parfois avec leurs patrons, les éleveurs, agriculteurs affiliés majoritairement à la FNO, branche ovine de la FNSEA dont le discours sur le loup est assez radical.
Distinguer éleveurs et bergers
Souvent réunis en syndicats ou groupements pastoraux, les éleveurs sont les propriétaires des troupeaux qui, plus particulièrement dans le sud, broutent en plaine l’hiver et sont confiés en été aux bergers qui les gardent sur les alpages de montagne. Ils y montent lors de la transhumance.
Les éleveurs défendent rarement la même position que les bergers par rapport aux prédateurs. Une bergère alpine se dit « frappée par la violence des bêtes et de mon employeur qui reporte la faute sur moi » en cas d’attaque.
Quand, en outre, les choses paraissent « imposées de l’extérieur », la coupe déborde. L’extérieur, c’est l’administration et son culte du secret : « L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONFCS) ne donne d’information sur la présence d’un loup que lorsque tout le monde le sait », dit Mathieu, berger en Maurienne. L’extérieur, c’est aussi le monde urbain, les« écolos de salon », les « touristes qui parlent d’espaces sauvages, et à qui il est difficile de faire comprendre que ces espaces sont domestiqués », dit Christiane qui vit à Lyon en hiver et vient de quitter un alpage en Oisans après dix-sept ans, avec une certaine amertume.
« Certaines pratiques favorisent la prédation »
Certains discours sont perçus comme une remise en cause de la légitimité des bergers à être sur un alpage. « Je suis d’accord sur la place du loup et de la biodiversité, mais je m’interroge sur la place de l’homme », dit une bergère de la Brévine, la Petite Sibérie suisse du Jura neuchâtelois. « Les troupeaux domestiques ont leur place, ils sont aussi créateurs de biodiversité », dit un berger alpin. Les savoirs et compétences acquis avant le retour du loup semblent remis en question.
« Quand c’est trop pentu, on ne peut pas regrouper mille brebis sans que des pierres ne tombent ou qu’il n’y ait des pattes cassées... Dans la réalité pâturée, il faut bien laisser aller cinquante brebis à tel endroit, d’autant que l’Europe paie pour l’entretien de ces zones difficiles », dit Solène.
Faut-il, comme l’association Ferus, suggérer l’abandon de certaines zones d’alpage difficiles ? Tout le monde ici sourit car un alpage a forcément des zones difficiles. Les positions sont cependant contrastées parmi les bergers où l’on distingue ceux qui ne veulent pas abandonner le terrain et ceux qui estiment que « tant qu’il y aura séparation [d’avec le loup], il n’y aura pas de solution ».
Autrement dit, ceux-ci pensent que les éco-systèmes du loup et des moutons peuvent coexister, avec des aménagements. « Bien sûr que certaines pratiques favorisent la prédation », dit Antoine. Faut-il en changer ? Modifier les conduites de troupeau ? Peut-être, mais cela renvoie à la formation, à la connaissance fine des mœurs du prédateur, à la communication entre tous les acteurs : bergers, éleveurs, décideurs...
Cela renvoie-t-il à la notion de « seuil de tolérance » dont parle Maurice Tissot, militant de la Confédération paysanne du Doubs ? Il pense au cauchemar de Thierry Maire, dont l’élevage avait subi une cinquantaine de pertes à la suite deplusieurs attaques en 2011 : « Il n’en dormait plus... Si j’avais une attaque tous les trois ans, je l’accepterai peut-être, mais là... Il faut faire évoluer la directive habitat pour tuer un individu... »
« Faire émerger des solutions locales immédiates »
Gérard Vionnet, berger jurassien à la formation de vétérinaire, militant environnementaliste, se dit « choqué : un prédateur tue tout le temps. Il faut tenir compte des spécificités de chaque milieu, des pratiques très différentes selon le lieu » et l’historique de la présence de prédateurs. Fort d’une expérience de gardiennage de deux mille brebis l’été dernier en zone loup dans le Vercors (prochain sujet), il a quelques suggestions pour les secteurs où le loup n’est pas encore installé à demeure : « il faut faire émerger des solutions locales immédiates, essayer les barrières de fladry (voir également ici) qui marchent cinq à huit mois, les doubles filets, les doubles parcs... Il faut aussi connaître ce loup-là... ».
Des bergers d’autres massifs, où le loup est arrivé depuis plusieurs années, hochent la tête. Mathieu a bien entendu ceux qui veulent l’élimination d’un loup ou d’une meute à problème : « Diminuer la population de loups, il y a des endroits où il faut le faire... Mais que fera-t-on ensuite quand elle remontera ? »La situation est sans issue.
C’est d’ailleurs ainsi que se termine un communiqué de l’association des bergers de Provence et des Alpes du sud qui, s’appuyant sur la récente condamnation d’un berger ayant agressé deux agents du parc du Mercantour venant constater une attaque, dénonce le fait que tout se passe « comme si les bergers étaient la variable d’ajustement de la protection du loup » tout en rappelant ne pas demander l’éradication du prédateur, mais « d’en être protégés ».
Vers la création en avril d’une fédération nationale des bergers
Approuvé par tous les bergers présents à la Petite Echelle, ce texte devrait être signé par d’autres associations. Il préfigure ce qui pourrait être au nombre des actions d’une future fédération nationale des bergers dont le congrès constitutif se tiendra en avril prochain dans les Cévennes. Construite en réaction au loup, une véritable union des bergers pourrait alors se réaliser sur des bases jetées en juin dernier avec la création d’un syndicat des gardiens de troupeaux de l’Isère affilié à la CGT. Il a notamment demandé aux prudhommes de Grenoble de requalifier les CDD des bergers en CDI : « on part des problèmes du loup, on arrive au statut des bergers, faisons passer nos solutions », dit son responsable, Michel Didier, présent sur le Mont d’Or.

Le loup serait-il l’arbre qui cache la forêt des autres problèmes du pastoralisme ? Christiane n’est pas loin de le penser : « Le loup est là pour qu’on fasse n’importe quoi ailleurs, un moyen pour que l’agriculture intensive fasse ce qu’elle veut ». Antoine Le Gal est proche de cette analyse : « les syndicats d’éleveurs sont pour l’éradication du loup, pas nous. Mais certains profitent du loup pour éviter de parler des contrats de travail... »
Ou de retourner une part des aides aux bergers, donc l’accès à la formation, aux chiens de protection et à leur éducation, aux outils scientifiques de connaissance du loup... D’ailleurs, on a beaucoup parlé de l’observatoire du loup dont l’utilité est incontestable dans une perspective de cohabitation avec le prédateur.

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